LES SEIGNEURS D'HOUDENG

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QUELQUES ACTES

Archives du Charbonnage de Bois-du-Luc. Dossier 519, A.E. Mons, une page de 18 lignes extraite du registre " Achat de la terre et Signeuries d'Houdeng et Meiniant le 30 aoust 1740, n° 3 ctté C, par de Biseau contre Le Danois ".

" Par devant les hommes de fiefs du pais et comté du Hainaut soussignés comparu personnelemens Messire François Marie Le Danois comte de Cernay, Seigneur de Raisme et de deux grandes forest dudt- Raismes et autres lieux, Mareschal Héréditaire du Hainaut, Colonel de Cavaillerie et chef d'une brigade de la gendarmeries au services du Roy très chestien, lequel parmy la somme de quattre vingt mil florins monoye fortes les escus à quarante-huit patar pièce et autres espèces a proportions à connue d'avoir vendu bien et léallement à Nicolas François Joseph Biseau escuyer Seigneur de la Motte-Crohin présent acquéreur pour luij et ses hoirs à tousjours trois fiefs compte tenu de sa majestez à cause de son pais et comtez de Hainaut le premier consistant en la terre, justices et Seigneureries de Houdeng à cause duquel le Seigneur....".

Houdeng, au début du dix-septième siècle, d'après les albums de Croÿ

Il s'agit plutôt d'un extrait d'acte en provenance d'un registre d'enregistrement d'actes divers, registre faisant partie des archives du charbonnage du Grand Conduit. L'acte concerne la vente de trois fiefs, dont la seigneurie d'Houdeng, par le comte de Cernay, Grand Maréchal d'Hainaut. La cession est faite au profit de Nicolas de Biseau qui deviendra de cet acte haut-justicier des terres relevant de la seigneurie. La somme est relativement importante: 80.000 florins. Nous sommes le 30 août 1740: le Danois s'en va.

Dans le même registre (dossier n° 519. Pièce de trois folios, le premier rôle de 7 lignes, le second rôle de 29 lignes, le troisième de seize lignes suivies des signatures plus une reconnaissance de six lignes plus les signatures, acte daté du 30/08/1740), on trouve la copie de la vente de 2/10 ème de part du charbonnage du Grand Conduit faite par Messire François Marie le Danois, comte de Cernay, seigneur de ... etc. La cession est faite au profit de Messire Nicolas Biseau. Le Danois s'en va après un procès retentissant contre le charbonnage et particulièrement les Pourbaix, procès qu'il a perdu devant la Cour Souveraine du Hainaut.

Cette part, il la vend pour la somme de 35.000 florins, ce qui amène une évaluation du capital à 175.000 florins, soit la somme fabuleuse pour l'époque de 350.000 livres. Il faudra attendre 1793 pour que cette valeur de capital estimé soit dépassée. Il est cependant évident que cette somme est surfaite et le Danois a certainement profité du sieur de Biseau qui n'y connaissait sans doute encore rien grand-chose en matière de charbonnage, qui avait besoin de terres et qui entendait avoir un maximum des prérogatives qui étaient attachées à la seigneurie.

A l'époque, la comtesse douairière de Cernay possédait également une part de 2/10 èmes qui vint plus tard à de Biseau qui l'acheta au nom de sa soeur Marie-Louise, baronne de Biseau-Bougnies, nous ne savons pas dans quelles conditions ni à quelle époque. Cette part revint plus tard aux enfants de Nicolas Joseph, son frère.

Archives notariales, A.E. Mons. Dossier n° 2949 du dépôt du notaire DAUCHOT de résidence au Roeulx. Acte n° 26 daté du 22 frimaire an VII de la république française, soit le 12/12/1798, acte intitulé "Passement d'actions de charbonnage entre Alphonse Wavrin vers Jean Joseph Plunket". Une grosse de trois rôles timbrée de 75 centimes de la République française, le premier rôle de 24 lignes, le second rôle de 24 lignes et le dernier rôle de 2 lignes suivies des signatures et de l'enregistrement.

"Pardevant Aubert Dauchot notaire établi pour le département de Jemmappes à la résidence de la commune du Roeulx, chef-lieu de canton, duement patenté sub le n° 202 et les témoins à ce requi appellés et très bien connus dudt- notaire, comparurent en personne le citoyen Alphonse Wavrin et Ursule Julie Biseau, conjoints, rentiers demeurants en la commune d'Houdeng, canton du Roeulx, même département, lesquels sans contrainte ny induction, ont connu d'avoir bien et leallement vendu à perpétuité au citoyen Jean Joseph Ferdinand Plunkett, rentier demeurant en la commune de Bruxelles, département de la Dille, acquérant par le ministère du citoyen François Joseph Roland, receveur du Charbonnage d'Houdeng, commifsioné aux affaires dudt- Plunkett et auquel il fera agréer le présent acte, tout un quarantième dans tout le Charbonnage, conduits, Machine à Feu et tout ce qui y est annexé audt- quarantième dans ledt- Charbonnage d'Houdeng pour par ledt- acquérreur entrer en pofsession de ce présent jour à minuit du vingt un au vingt-deux frimaire et c'est parmi le prix et somme de une fois six milles livres que les vendeurs......."

Nous sommes le 12 décembre 1798, soit le 22 frimaire an VII de la République. La Révolution a eu lieu et les Français sont chez nous depuis deux ans. Les anciens seigneurs ont perdu tous leurs privilèges, y compris celui d'être appelé seigneur et d'être désigné par un titre de noblesse. On omet délibérément la particule et de rallonger les noms lorsqu'ils sont composés de plusieurs parties. Alphonse Wavrin et son épouse Julie Biseau sont selon l'ancien droit messire Alphonse François Joseph, marquis de Wavrin, comte de Villers-au-Tertre, seigneur de Masnières etc. et Marie Ursule de Biseau, dame de Houdeng. Le partenaire est Jean Joseph Ferdinand Plunkett de Rathmore, écuyer.

Comme on le sait, Plunkett de Rathmore possédait déjà des parts de charbonnage du Bois-du-Luc grâce à son alliance ou plutôt l'alliance de son grand-père avec Marie Goffart, seule héritière du greffier François Legoeulle de Mons, comparchonnier du Grand Conduit. Les parts ici cédées viennent du chef de Marie Ursule de Biseau qui tenait sa part de son grand-père et de sa grand-tante de la façon suivante: Nicolas Joseph de Biseau avait acheté à le Danois ses deux dixièmes et ensuite avait également acheté à la comtesse douairière de Cernay les deux autres dixièmes, cet achat ayant été fait au nom de sa soeur Marie-Louise de Biseau Bougnies, comme vu précédemment.

Armes des Plunkett sur un cénotaphe à l'hospice de Houdeng

Plus tard, on retrouvera les deux premiers dixièmes de la succession du marquis à Antoine Joseph de Biseau, son fils aîné qui reçut également la seigneurie de Houdeng et les deux autres dixièmes arrivèrent par le même truchement à son second fils Henri Joseph de Biseau (avec la seigneurie de Bougnies).

L'aîné, Antoine Joseph de Biseau, qui avait épousé Sophie Frédérique de Beyens étant décédé sans postérité, ses biens vinrent à sa soeur Marie Ursule, épouse Wavrin-Villers-au-Tertre, ici vendeurs. C'est du moins ce que Monoyer dit en son opuscule. En réalité, la tante, soeur de Nicolas de Biseau testa en faveur de ses quatre neveux et nièces lorsqu'elle décède en 1799, si bien que, dans les années qui suivirent, on vit les parts partagées dans la famille entre Alphonse François de Wavrin-Villers-au-Tertre, Charles Louis de Wavrin, baron de Villers-au-Tertre et Henri Donat Joseph de Biseau Bougnies, ceci dans une proportion qui devait être sensiblement de 1/10 à chacun, mais rien ne peut être affirmé à ce sujet tant que les successions n'ont pas été examinées. Nous avons connaissance d'une cession de Charles Louis, en 1813 à Marie Thérèse Mary, 1/160 ème pour 6.000 francs.

Donc Marie Ursule de Biseau possédait une assez forte part: ici, elle cède un quarantième, soit probablement le quart de ce qu'elle possède ou a possédé. La cession se fait moyennant la somme de 6.000 livres, donnée en mains de Roland, le receveur du charbonnage, homme de confiance de Plunkett. La somme de 6.000 livres fait approximativement 6.000 francs, pour 1/40 ce qui fait une évaluation du capital de la société à 240.000 livres. Cent dix ans plus tôt, Pourbaix et Blanquet commencèrent avec seulement des idées et quelques outils, en tirèrent peu de profit malgré leur fabuleux 1/10 ème.

SUR LE DROIT D'ENTRECENS

On sait qu'à l'origine, le droit du seigneur le Danois avait été fixé à un entrecens du 1/7 ème denier (14) sur le gros charbon. Par après, ce droit fut réduit au onzième du tout, ce qui facilitait les tâches comptables et permettait d'éviter beaucoup de discussions. En 1775, de Biseau accepta la réduction au seizième après une argumentation de l'assemblée consistant à prétendre qu'il n'était pas dans l'intérêt du seigneur de persister à exiger le onzième, car les bénéfices de la société devenaient alors si minces que l'auto-capitalisation était impossible et inexistante et en conséquence, le développement de la société formait un pallier. De plus, les bénéfices distribués au prorata des parts étaient faibles. Il était donc devenu intéressant pour la sauvegarde de la dite société de diminuer le droit foncier dû au seigneur. Il faut dire que malgré les économies draconiennes, les charges étaient de plus en plus élevées.

Armes des de Biseau (de Hauteville) sur le frontispice d'une chapelle dédiée à la famille au cimetière de Buvrinnes

Le graveur a utilisé les conventions héraldiques pour représenter les émaux: le piqué sur le chevron pour l'or et les lignes horizontales sur le champ pour l'azur. (Photo de l'auteur)

Le seigneur de Biseau avait virtuellement accepté et avait admis cette réduction pour le temps où la machine à feu pour tirer les eaux, que les associés avaient projeté d'installer depuis l'assemblée du 19 avril 1773, serait opérationnelle. Le seigneur de Biseau dont nous parlons n'est pas Nicolas Joseph, car il est décédé le 20 avril 1774; il s'agit de son fils Antoine François. Mais ce dernier est également décédé le 5 mars 1786 sans que l'affaire fut réglée. Les parts viennent alors au comte de Villers-au-Tertre.

Registre des résolutions page 82 verso et suivante. Assemblée tenue à Houdeng le 16 juin 1788...

" feu Monsieur de Biseau, seigneur de Houdeng, par acte du 31 juillet 1775 qui se trouve en ce registre f° 63 verso et 64 recto, aiant consenti à la réduction de son droit d'entrecens au seizième, mais de son vivant aient prétendu que ce consentement ne devait commencer à prendre pied que du moment de la bénédiction de la machine à feu qui n'a eu lieu que le 23 mai 1780 sans que l'affaire ait été réglée avant son décès et M. le comte de Villers au Tertre lui aiant continuer la même prétention, à laquelle la Société n'aiant point voulu adhérer, elle est convenue à l'assemblée de ce jour avec Madame la Comtesse de Villers au Tertre de la manière suivante pour éviter toute difficulté avec le seigneur et lui marquer la déférence de la Compagnie pour lui, scavoir: " que le droit d'entrecens serait compté au seigneur jusques compris le dernier septembre 1778 à raison du onzième et qu'après cette époque, on l'acquitteroit à raison du seizième...".

Le comte n'est évidemment pas d'accord. Nous ignorons à quelle circonstance est dû le fait que ce soit la comtesse qui ait été amenée à discuter à l'assemblée d'une question aussi importante. Mais le comte doit probablement estimer qu'elle s'est laissée influencer; on imagine sans peine que l'assemblée aura saisi cette occasion unique, depuis peut-être des années, de reparler de cette question épineuse au représentant putatif du seigneur. Pour ne pas désavouer ouvertement son épouse, le comte est dès lors obligé de jouer au plus fin. Suite précisément à cette histoire, nous devons à Plunkett de Rathmore de connaître le chiffre d'affaires de la société de 1775 à 1798. Or, il faut savoir que si, en 1775, il est de 11.034 livres, en 1787, il est de 75.830 livres et il ne tombera pratiquement jamais plus bas. Le onzième d'entrecens signifie dans ce cas que le seigneur haut-justicier relève 6.893 livres; au seizième, il n'est plus que de 4.740 livres. A remarquer que ceci est indépendant du fait que la famille obtient encore les 4/10 de tous les bénéfices qui sont après réalisés: il s'agit d'une rente fort correcte!

A l'assemblée du 10 décembre 1788, il est dit que Monsieur Plunkett de Rathmore a adressé une lettre à Monsieur le comte de Villers-au-Tertre, seigneur d'Houdeng, depuis Mons, le 25 novembre 1788. Voici le début de la copie:

"...Monsieur, j'ai été informé par le receveur du Charbonnage de Houdeng François Roland, que votre intension étoit de lever les droits d'entrecens à raison du onzième, sans prendre égard à sa réduction au seizième accordée par feu Monsieur de Biseau etc...."

Il s'agit d'une lettre très habile, digne d'un homme d'affaires d'une grande compétence, doublé d'un homme du meilleur monde et qui relève de la même classe sociale que le comte. Ce dernier, qui n'est pas sot, lui répond le 6 décembre 1788 (page 86 recto en bas)....

" je suis bien éloigné de désavouer mon épouse dans ce qui a été arrettée le 16 juin dernier, elle a fixé le moment ou la réduction de mon droit devez commencer au seize, il est juste d'en fixer la fin....".

Le comte estime que tout cela n'est qu'un accommodement passager, il veut bien sacrifier jusqu'au janvier 1789.

Même page 86 verso, lors de l'assemblée, après lecture des pièces....

" il a été résolu de dire à André Pourbaix présent à l'assemblée en sa qualité de procureur du seigneur qu'il pouvait informer son principal que la société étoit déterminée à soutenir les droits qu'elle avoit acquis par l'acte du 31 juillet 1775 et par la convention verbale du 16 janvier 1788, qu'il y avait même eu des avis pour s'en tenir uniquement au prédit acte du 31 juillet, c'est à dire pour faire prendre pied à la réduction au seizième dès le jour 31 juillet...."

Il faut noter qu'il y a pratiquement treize années entre les deux dates citées. Nous ne sommes plus au Moyen Age; le comte résistera mais les événements se précipitent: en 89, la Révolution gronde à Paris. En 92, les Français sont chez nous avec leurs idées nouvelles. En 1810, l'Empire abolit le droit des seigneurs haut-justiciers à toucher des droits d'entrecens. Il sera réduit alors, par pure bonté d'âme par la Société, au trente-deuxième denier.

On change d'époque. Les grands seigneurs, les puissants seront les grosses sociétés et les hommes qui les dirigent. L'omnipotence de ces dernières, comme aujourd'hui, va devenir bien plus brutale que celle du seigneur haut-justicier et son bailli.

Et ce qui était dû au seigneur pendant l'Ancien Régime sera désormais dû au fisc qui se montrera rapidement encore bien plus vorace.

Concession funéraire des de Wavrin de Villers au Tertre au cimetière d'Houdeng, représentant bien l'écu ancestrale des Wavrin (l'écu avec l'écu en abîme) mais les émaux ne sont pas représentés. . On y voit également le cri et la devise ('Wavrin! Wavrin!' et 'Moins que le pas'. Quant à savoir s'ils étaient marquis, il semble que ce soit une autre affaire. C'est, semble-t-il, plus une tradition plutôt qu'une affaire de concession royale. (Photo de l'auteur)

Les références citées sont à voir à l'article Bibliographie, à partir du second portail

 

(13) voir même ref, p. 56: c'est la plus considérable de celles qui sont examinées. Le cartulaire de ses biens fonds et rentes seigneuriales dressé en 1707 par Dom Anselme Vaast, religieux, sur l'ordre de Dom André Tournon, abbé de St-Denis, accuse au profit de l'opulente communauté la possession de ce qui suit aux terroirs de Houdeng et de Goegnies: 5 boniers de prés et pâturages, 49 boniers de terres cultivables...Bois du Lucq, 17 boniers, Saule Parisis, 15 boniers, Cul du Sacq, 17 boniers. Le droit de terrage portait sur une centaine d'héritages environ.

(14) le denier, intrinsèquement, est la 240 ème partie de la livre Haynaut laquelle vaut 10 patars.

 

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Christian Goens - La Louvière - Belgium- mai 2005 - tous droits réservés