POURBAIX Léonard (583434) et le GRAND COMPLOT

Au début des années 1990, à l'initiative de Claude FAVRY, de La Louvière, l'histoire de Grand Complot a été remise au goût du jour par le dramaturge Jean LOUVET, attirant l'attention des habitants du Centre sur cette affaire où un POURBAIX est cité sans autres précisions. Or, il n'y joue pas un rôle très édifiant puisque, maître de l'intrigue, lui et ses commanditaires, ridiculement compromis, firent rire l'Europe entière pendant quelques semaines, lors d'un retentissant procès qui permit à l'opposition de réagir violemment.

Il s'agit de situer le personnage mais pour ce faire, il est nécessaire de retracer quelque peu, dans les grandes lignes, l'histoire du Grand Complot. Cette histoire a une valeur historique certaine; elle fait partie des premiers pas de l'histoire du socialisme en Belgique et se combine avec les interventions d'un de ses plus grands tribuns hennuyers: Alfred DEFUISSEAUX (Très aimé du peuple, il est décédé à Nimy le 11 novembre 1901, à l'âge de 58 ans. Cinquante mille personnes assistèrent à ses funérailles.). Sur le développement du Parti ouvrier et du socialisme, cette étape du mouvement social belge eut une influence évidente.

Nous sommes à l'époque du suffrage censitaire, l'âge d'or de la bourgeoisie. On tire sur les grévistes qui font des 'grèves de misère' depuis 1869. L'Internationale, créée en Europe par les théoriciens, se meurt. Politiquement, les ouvriers retombent dans une certaine léthargie jusqu'en 1880. C'est l'époque où le Parti Ouvrier Belge (P.O.B.) se crée; il lance l'idée d'acquérir le suffrage universel dès 1885. Le pays entre en dépression économique; la classe ouvrière est en train de devenir un parti politique. Bien organisées, les grandes grèves éclatent en 1886: c'est une véritable révolution.

Historiquement, c'est au congrès de Châtelet, le 25 décembre 1887, lors d'une fameuse séance secrète que, par la magie de Pourbaix et de ses acolytes, devait sortir le Grand Complot. Pour l'essentiel, on y décida d'une grève générale et des moyens préliminaires dont la violence n'était pas exclue. Déjà, depuis le début de 1887, on utilise de la dynamite et les attentats se succèdent, particulièrement après Châtelet.

Les agitateurs sont repérés, des mouchards interviennent, des arrestations ont lieu. Le gouvernement annonça que l'on venait de découvrir un Grand Complot contre la Sûreté de l'Etat et que le Parquet avait réussi un coup de filet magistral qui lui permettait de livrer bientôt à la Justice les principaux conspirateurs de la terreur qui avait fait trembler les bourgeois au cours des derniers mois. Une instruction est ouverte; le dossier est volumineux. Le nommé Louis ANDRE débobine tout ce qu'il sait, donne les canevas des actions, accuse tout le monde: c'est le mouchard type. Mais ANDRE n'a été qu'un instrument entre les mains de provocateurs dangereux et habiles que la Sûreté publique avait infiltré au sein même du P.S.R.

Le 26 janvier 1889, le juge d'instruction reçoit de Paul NOTELTEIRS, directeur de la Sûreté Publique, la révélation que LALOI était un de ses 'agents'; il avait pourtant été le confident de DEFUISSEAUX et avait présidé le congrès secret de Châtelet !

Mais le maître du mystère, celui qui tire les ficelles, c'est le nommé Léonard POURBAIX, tout à la fois agent clérical, soi-disant militant socialiste, espion de la Sûreté Publique et père du Grand Complot.

L'avocat Collard, dans son livre sur le sujet, nous apprend une des phases essentielles des aventures de Léonard :

Le 21 mai, Pourbaix, accompagné notamment de Pierre LOOR, ce bon militant qui devait finir comme gérant de la Coopérative de Cuesmes, se rendit à Maubeuge. Il y rencontrait, au Bazar Parisien, Alfred DEFUISSEAUX en rupture de surveillance. Là, Alfred lui remit un manifeste violent, adressé au Chef de Cabinet, M. BEERNAERT; le document, destiné à être publié à des milliers d'exemplaires, devait surexciter les masses ouvrières, déjà terriblement énervées.

Sur les conseils de Pourbaix, fort vraisemblablement, il fut convenu qu'Alfred DEFUISSEAUX ne signerait pas lui-même le manifeste, Pourbaix se chargeant de la faire signer par un militant quelconque.

Muni du précieux document, Pourbaix repassa la frontière. A 9 h 30 du soir, il lançait de la station de Quévy, au chef de la Sûreté Publique, le fameux télégramme : "Prévenez Beernaert. Arriverons minuit".

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Ainsi donc, avant que le manifeste ne soit signé, le Gouvernement en avait prit connaissance! Quelques heures plus tard, Pourbaix faisait signer le manifeste par Hector CONREUR, alors tout jeune militant d'une vingtaine d'années et qui, pour l'occasion, usa d'un pseudonyme: Stanislas Tondeur. Aussitôt les presses de Rompff frères entrent en action. Et le lendemain des milliers d'exemplaires du manifeste-ultimatum allumaient la fièvre dans les cerveaux ouvriers. Le tour était admirablement joué. C'était un coup de maître, un chef d'œuvre.

Pourbaix, en moins de huit jours, était devenu l'homme indispensable à l'action occulte du Gouvernement. Tout ce qui allait se passer dans la suite, devait dès lors se dérouler sous son invisible direction".

Il fut établi par la suite que c'est donc de son imprimerie (Léonard était imprimeur) que sortirent les tracts socialistes mais également les armes et les cartouches de dynamite.

Un imprimé sorti de l'imprimerie des frères Rompff

Un procès retentissant s'ensuivit, tenant le pays en haleine et mettant en cause 27 accusés. Au cours des dépositions, des incidents avaient mis en relief la troublante figure du mouchard Pourbaix. Monsieur Gauthier de RASE, chef de la Sûreté Publique, avait été amené à dévoiler la double personnalité du maître du mystère et de ses acolytes.

Arrêté puis appelé comme témoin lors du procès, considéré par l'opinion publique comme étant l'espion numéro un, Léonard Pourbaix se fit démonter par Paul JANSON, un des 19 avocats des 27 accusés.

Collard nous donne un portrait de l'homme: (c'est très subjectif; NDLE)

"D'allure trouble, la voix sifflante, un regard fuyant au-dessus d'une barbe rare d'un gris sale..."

(Voir plus loin le commentaire qui accompagnait ce portrait tiré du Journal 'Le Peuple')

L'avocat général, devant la pression de l'argumentation verbale de la défense, abandonna la plupart des chefs d'accusation.

Après délibération, le procès du Grand Complot se traduisit sur un verdict négatif sauf pour LALOI et ANDRE. Il n'y avait jamais eu de complot autre que celui fomenté par Pourbaix lui-même.

En effet, un homme, Léonard POURBAIX, agent électoral catholique connu et imprimeur travaillant avec son demi-frère Adonis ROMPFF, place des Martyrs à La Louvière, se signale, dès 1886, par une violente volonté destructrice. C'est lui que l'on croit reconnaître à la tête des ouvriers mettant à sac les verreries et le château BAUDOUX à Jumet en mars 1886 et c'est toujours lui qui incite les ouvriers grévistes du Centre à utiliser de la dynamite pour faire sauter le gazomètre et le pont du canal, à faire disparaître la gendarmerie de La Louvière et enfin, à couper les fils télégraphiques et téléphoniques.(Déposition de Jules MOREAU, le 6 juin 1889)

Comment cet homme très intelligent et capable de tout entreprendre sur le plan de l'intelligence,(déposition de Félicien WAUQUEZ, brasseur à La Louvière, 26 juin 1889) comment cet homme fantasque et extravagant, cet arsouille à l'esprit enclin au mal allait-il devenir ce que nous en savons. C'est que, ce Léonard Pourbaix est en fait de fourberie et de duplicité un véritable dilettante. Impossible de découvrir un être plus fécond que lui en combinaisons machiavéliques et en ingénieuses machinations. Sous ce rapport, c'est un véritable génie. Les faits vont venir confirmer ces appréciations venues de différents témoins du procès.

La carrière de Léonard Pourbaix en tant qu'agent de la Sûreté publique débutent avec les grèves de 1887. Flanqué de son acolyte du moment, Léonard COUSSAERT, notre homme sera présenté, en mai 1887 par le sénateur CORNET au ministre de la Justice DEVOLDER. Celui-ci, peu satisfait des renseignements trop imprécis de la Sûreté, décide de s'adresser aux habitants de La Louvière que sont Pourbaix et Coussaert, à même de donner des informations plus complètes. Dans la foulée, DEVOLDER n'avait pas hésité à transmettre au Parquet du Procureur général (des renseignements) sans passer par l'administration de la Sûreté publique, attitude que Gauthier de RASE n'avait guère appréciée. C'est pourquoi, le 18 mai 1887 les circonstances et la nature des renseignements communiqués le déterminent à voir personnellement Pourbaix qui se dit agent électoral et paraît à ce titre réclamer la confiance du Gouvernement. La réaction de Gautier de RASE sera mitigée mais il finit par accepter sa collaboration. Notons que, en égard à la période troublée dans laquelle on se trouvait, il m'a paru impossible de refuser ces renseignements…., déclarera plus tard DE RASE.. D'entrée de jeu, les limites de l'action de Pourbaix sont clairement définies et ses exigences ramenées à de plus justes proportions: il recevra un alphabet codé pour sa correspondance avec la Sûreté qui l'affuble d'un pseudonyme (il signera ses rapports LOUIS).( Pourbaix demandait la mise à sa disposition d'agents secrets de Bruxelles qu'il serait chargé d'introduire dans les meetings, une attestation aussi qu'il était au service de la Sûreté et qu'il pourrait exhiber le cas échéant, en cas de conflit avec les autorités (déposition de P. NOTELTIERS, 8 juillet 1889) Quant à la mission, elle consistera à signaler à la Sûreté les meneurs et principalement les hommes dangereux et les dynamitarts. L'indicateur à la dynamite pouvait entrer en scène.

Profitant de la dissidence survenue au sein du P.O.B., Pourbaix exercera une influence étonnante sur les membres du Parti républicain socialiste belge (P.S.R.) créé en avril 1887 et dont le chef incontesté, Alfred DEFUISSEAUX, avait le malheur de se trouver en exil, en France.

Premier objectif pour Pourbaix et son assistant, COUSSAERT: donner corps à leur affirmation de l'existence d'un plan de dévastation avec dynamitage de ponts et distribution de revolvers, d'une incitation à la guerre civile par dégât. Autrement dit, il s'agissait de démontrer les mécanismes d'un COMPLOT ourdi contre la sécurité de l'état. Toutefois, la vague d'arrestations et de perquisitions ne débouche sur aucune preuve de l'existence d'un complot. C'est pourquoi Léonard Pourbaix décide de relancer le mouvement à sa façon, c'est-à-dire en incitant personnellement les ouvriers à s'armer (Pourbaix incite les ouvriers à s'emparer, en groupes organisés, des armes des gardes civiques et des agents de police, en les faisant tomber dans un piège) et à se livrer à des attentats à la dynamite dans les deux bassins du Centre et du Borinage, avant de mettre lui-même la main à la pâte et de monter un attentat contre l'Hôtel de Commerce de La Louvière le 22 mai 1887 (voir épisode de l'anarchiste français Octave JAHN). La désorganisation par l'anarchie étant réussie, restait à impliquer Alfred DEFUISSEAUX. Jouant de la crédulité de ce dernier, Pourbaix obtiendra de lui deux documents, l'un s'adressant aux ouvriers, l'autre au Ministre BEERNAERT. Une proclamation et un ultimatum menaçant la Belgique de guerre civile. Manuscrit dissimulé dans la doublure d'un pardessus, télégramme codé, rencontre de minuit avec un ministre, rien ne manque à la panoplie du parfait agent double (Après avoir reçu des mains de DEFUISSEAUX à Maubeuge, le document qui devait être recopié par un membre du Comité d'Action, Pourbaix voulut le cacher dans sa bottine pour finalement le dissimuler dans la doublure de son pardessus). Efforts cependant vains puisque les autorités doivent abandonner, dès le 8 juillet, la notion de complot.

De son côté, Léonard Pourbaix à le cœur satisfait du devoir accompli, dira-t-il; n'a-t-il pas aidé à terminer une bonne fois et pour longtemps le malaise social du Centre, n'a-t-il pas mis la division complète dans le parti socialiste républicain, n'a-t-il pas provoqué l'anéantissement des ligues ouvrières et n'a-t-il pas réussi à faire disparaître Le Combat, le journal de DEFUISSEAUX. Et tant pis s'il est suspecté dans le Centre d'avoir renseigné le Gouvernement. [il] n'a rien à craindre de ce côté car [il] tient une partie des Chefs par l'argent prêté et par la crainte. Aussi considère-t-il avoir terminé la tâche qu'il s'était volontairement imposée précisant qu'il se trouverait toujours à la disposition de son pays . Il ne savait pas si bien dire.

Le Centre sent la poudre. La grève générale est à l'ordre du jour. Elle doit être votée au Congrès socialiste républicain de Châtelet les 2 et 3 décembre 1888. Le gouvernement belge veille. Léonard Pourbaix aussi. Brûlé auprès d'Alfred DEFUISSEAUX, il prendra connaissance à sa façon des plans du chef républicain avant de les dénoncer à la Sûreté et de les faire appliquer par des hommes de main. Conscient de l'importance des enjeux, POURBAIX va déployer des trésors d'ingéniosité, de perfidie et de provocation: meetings noirs, explosions de dynamite, déguisements (Pourbaix possédait une panoplie de déguisements divers (moustaches, coiffures) qu'il offrait à ses hommes de main. Il n'hésitait pas à y recourir, allant même jusqu'à se déguiser en charbonnier ou n'hésitant pas à se raser la barbe et à porter des lunettes bleues!), placards et affiches incendiaires aux signatures évocatrices, rien ne sera négligé pour réussir. Pour prouver l'existence d'un grand complot. C'est alors qu'emporté par sa fougue, il dupe Gouvernement et Sûreté pour mettre fin à son cauchemar et faire arrêter Alfred DEFUISSEAUX, afin de rendre le plus grand service à son pays et prouver à ses employeurs qu'il est un homme. Il est sûr de lui, il les tient bien avec une prudence extrême, mais dans un filet dont les mailles sont incassables et son plan est magnifique, splendide. Malgré son inventivité (voir pigeons porteurs de message codé) Pourbaix échouera une fois encore. D'un rien. Hasard objectif de l'histoire, il sera arrêté le 11 décembre 1888 au moment même où il aurait dû savourer son triomphe.

De maladresse (il se recommande de la Sûreté) en lâchage par Gauthier de RASE, il finira par se faire inculper et sera condamné peu après le procès du Grand Complot. Rarement action aura été si dense et si extraordinaire. En effet, l'épopée pourbaisienne n'avait duré que six semaines environ. Le temps suffisant pour changer le monde politique belge

La Presse de l'époque: cliquer ici

De quelle famille provenait donc cet individu?

Pour bien comprendre son histoire, il faut partir de Léonard-Vaast POURBAIX. Il est né à St-Vaast le 23/11/1824 de Jean-Baptiste Vaast, né en 1776, charbonnier décédé à St-Vaast en 1842, époux successivement d'ANDRE Rosalie Joseph, décédée à St-Vaast en 1820 d'où deux enfants et de JAUNIAU Marie Joseph qu'il épousa en 1822, née à St-Vaast en 1782, qui est la mère de Léonard-Vaast, laquelle lui avait donné une soeur, Prudente, née en 1826, mais décédée à l'âge de 15 ans.

Léonard-Vaast ne fera pas de vieux os: il décédera à l'âge de 34 ans non sans avoir eu le temps de trois épousailles. On est au plus profond de la misère prolétarienne: il faut faire vite car l'on meurt jeune, d'épuisement, de faim, d'alcoolisme, de misère, d'accident du travail.

Léonard-Vaast se marie une première fois à Morlanwelz le 12 septembre 1849 (il a 24 ans) avec POLET Valentine, journalière née en 1829 qui décédera un an et un jour plus tard, lui donnant un enfant: Léonard, lequel décède à l'âge de 5 mois en 1850, précédant de 2 mois sa mère dans la mort.

Léonard-Vaast, veuf de 7 mois, épouse à Morlanwelz en secondes noces le 30 avril 1851 DOYEN Julie, née en 1829 et donc âgée de 22 ans; elle décédera 2 ans plus tard (30/11/1853) après lui voir donné deux enfants, Laure Adèle et Jules. Le premier né le 16 septembre 1852 et le second le 3 avril 1853.

De nouveau veuf, Léonard-Vaast veut se remarier, ce qui sera fait moins de 3 mois plus tard (16/02/1854). Il épouse Apoline BURION, née en 1818, cabaretière ayant charge d'enfants. Elle lui donnera deux enfants dont l'un ne passera pas deux ans et l'autre fait l'objet de notre histoire: Léonard Jean-Baptiste (ou Jean-Baptiste Léonard).

Léonard-Vaast décédera à Haine-St-Paul le 30/01/1858, quelques mois après avoir eu son benjamin, Léonard Jean-Baptiste, né en 1857.

Mais revenons quelques années en arrière: Apoline BURION était en fait veuve de ROMPFT (ou ROMPFF) Victor Jean Joseph qui était décédé à Haine-St-Pierre le 27/03/1850. De lui, Apoline avait eu au moins les enfants suivants: Victor ROMPFT né à Houdeng-Goegnies le 13/06/1844 qui sera cité dessinateur plus tard; Arthur ROMPFT, né à Houdeng-Goegnies le 04/04/1846 qui sera cité houilleur; Adonis ROMPFT, né à Haine-St-Paul le 24/02/1848 qui sera imprimeur.

Veuve de ses secondes noces, avec un aîné qui n'est âgé que de 14 ans, Apoline ne se remarie pas et va donc élever ses enfants, seule. Nous ignorons si elle prit en charge Laure Adèle et Jules Pourbaix. Après la scission de La Louvière de la commune de St-Vaast (1869), on la retrouve inscrite habitant (sans concubin résident) au 11 rue de Beaume pendant toute la période 1870-1880, avec Victor qui la quitte pour La Hestre le 19/11/1874 (il a trente ans), Arthur qui décédera le 26 juillet 1872, Adonis ROMPFT et ROMPFT Léonard marié à PRADIER Marie Antoinette Mathilde, née à Bèze ou Besse (France) le 05/10/1854.

Qui est ce Léonard ROMPFF ? C'est évidemment Léonard Jean-Baptiste POURBAIX, né en 1857. Orphelin de son père à l'âge de un an, vivant avec des frères ROMPFF, on a pris l'habitude de confondre son nom avec celui des ROMPFF.

acte de naissance de Léonard Pourbaix, état-civil de La Louvière

Toujours est-il qu'il s'est marié pendant cette période 1870-1880 à une époque indéterminée mais en 1879 ou 1880, vraisemblablement. Il lui naît successivement à La Louvière Marie Antoinette Apoline (13/03/1881) et Marie Antoinette Amélie, dite Amélie (23/09/1882) qui semblent n'avoir été inscrites que sur la place des Martyrs au numéro 8 où les frères ROMPFF (Adonis et Léonard Pourbaix) tinrent pendant quelques temps une imprimerie. En fait, à cette adresse, il n'y a que le ménage de Léonard qui réside (il n'y aura pas de ROMPFF inscrit). On n'est sûr de sa présence dans ces lieux que depuis le 5 octobre 1887, venant de Mons. En fait, la bonne tenue des archives de l'état civil, ce ne fut que pour le début du siècle suivant. On ne peut donc être certain de la réalité et de la continuité des mutations domiciliaires. Ceci n'empêche pas que l'imprimerie était peut-être déjà en exploitation auparavant, sans résident. Le bâtiment de l'imprimerie, construit en 1848, était un ancien café (après avoir été l'hôtel de Ville) et avait été acheté par Pourbaix à une date indéterminée; il était composé d'un rez-de-chaussée et d'un étage.

Le 15 mai 1887, Léonard J-B POURBAIX, rentre au service de la Sûreté Publique et ce sont les presses de ROMPFT Frères qui impriment le manifeste-ultimatum de Defuisseaux signé par Hector CONREUR sous le pseudonyme de Stanislas TONDEUR, dans la nuit du 21 mai et les jours qui suivent. Léonard, tout à son activité louvoyante, voyage de La Louvière à Mons et inversement, en négligeant sans doute de déclarer tous ses transferts. On sait maintenant pourquoi.

Collard nous dit que Léonard était connu sous le sobriquet suggestif de 'La Calotte' et d'ajouter: "Vraisemblablement un agent clérical. N'était-il pas d'ailleurs administrateur de la Fédération des Sociétés de Secours Mutuels du Centre, association purement conservatrice et royaliste?".

Puis vint le fameux procès de Mons concernant la Sûreté de l'Etat, où l'on apprend de Monsieur NOTELTEIRS que Léonard Jean-Baptiste POURBAIX était entré le 15 mai 1887 au service de la Sûreté. Arrêté à Cuesmes lors d'une manifestation où il devait sans doute jouer un rôle nuisible et occulte, (date indéterminée), il est relâché immédiatement. Le 15 mai 1889 ou dans les jours précédents, pendant le procès, Léonard est arrêté et comparaît le 20 mai en qualité de témoin: il se fait descendre et confondre par Paul JANSON. L'affaire du Grand Complot tourne en queue de boudin. Il n'y a jamais eu de tentative de déstabilisation de l'Etat. Tout à été manigancé par POURBAIX avec l'accord du ministre Beernaert.

Léonard fera deux années de prison à la suite du procès qui s'ensuivra. Son affaire d'imprimerie tomba en faillite. Les registres de population signalent que l'individu est muté de la place des Martyrs le 11 septembre 1889 pour Mons mais non inscrit, tandis que sa femme et les deux enfants sont inscrits à leur tour le 26 septembre 1889 à la rue des Compagnons, au numéro 26, à Mons. Les déclarations n'ont pas été faites en même temps et même pas du tout pour Léonard. Il faut supposer que c'est suite à son incarcération car il fut condamné à Mons en novembre 1889 pour ses agissements dans le Centre. On ne sait ce que fit Léonard de 1891 à 1900. On meurt tôt dans la famille, même si l'on est un agent double, maître du mystère. Il serait décédé vers le 20 décembre 1900 et n'était donc âgé que de 47 ans.

Comme dérision, suite à son départ en 1889 du numéro 8 de la Place des Martyrs à La Louvière, et à la faillite de son entreprise, la Société Coopérative des Ouvriers du Centre à Jolimont achetait pour 30.000 francs environ l'immeuble (et le voisin) qui avait été le siège de 'l'Imprimerie à dynamite', pour y installer la maison du Peuple. Elle fut inaugurée le 22 décembre. Cette place des Martyrs deviendra la place Jules Mansart en 1924 et l'immeuble du parti socialiste fut modifié ultérieurement pour se trouver dans l'état que l'on peut encore observer à l'heure actuelle, ne laissant aucune trace de l'état primitif de l'époque de l'imprimerie subversive.

Essayer de déterminer à 100 années de distances les mobiles de Léonard est une gageure. Issu d'un milieu où la misère règne en maîtresse souveraine, dans un environnement sordide, avec une mère veuve pratiquant on ne sait quel métier, intelligent, Léonard Pourbaix est un autodidacte opportuniste qui saisit tour à tour les occasions. Elevé dans une optique catholique, instruit par son frère imprimeur de quatorze ans plus âgé que lui, on lui connaît une activité mutualiste. Puis, les circonstances s'y prêtant, il se frotte aux partisans du P.O.B. Il se frotte à l'anarchie, aux extrêmes et se fait déboussoler. Tout lui devient bon à prendre, du moment que les choses bougent. Il reste royaliste et opposé aux républicains de Defuisseaux, en ayant garde de le dire. Ensuite, il entre dans un double jeu: tout est bon pour lui surtout s'il prend une certaine maîtrise des choses, qu'il reçoit des affaires supplémentaires pour l'imprimerie et de l'argent de la Sûreté. Il entre dans un cercle vicieux qu'il a créé lui-même, par machiavélisme ou par le jeu des circonstances. Malheureusement pour lui, ladite Sûreté, trouvant sans doute désavantageux de poursuivre une action aussi subversive et compromettante, le lâche pendant l'instruction du procès. Léonard a fini sa carrière: il sera rejeté par tout le monde et se retrouvera sur le banc des accusés.

Tel est, rapidement brossée, l'époque, l'histoire de la famille et l'histoire invraisemblable des activités de cet individu au sens très particulier du devoir civique. Il n'en fait pas un individu très recommandable et pourtant, les notes ci-avant sont volumineuses. La raison en est que des documents existent, des articles de journaux, des livres. Des études ont été faites, non pas sur le personnage de Pourbaix, mais sur l'affaire. Comme tous les personnages historiques, en dehors de toute moralité, Léonard Jean-Baptiste Pourbaix aura laissé des traces.

Ce n'est ni par sympathie ni par esprit de polémique, ni pour le plaisir de pratiquer la littérature que nous avons introduit cette évocation pleine de sel: c'est une histoire de Pourbaix comme d'autres, inutile de la cacher.

Il n'est pas aisé de juger Léonard aujourd'hui, les contextes sociaux et politiques étant très différents. On ne peut lui contester le droit d'avoir eu une opinion politique contraire aux socialistes ou à tout autres. Il est cependant plus délicat d'admettre l'usage qu'il préconisait de la violence.

Dans la pratique, quel que soit le bord où l'on se trouve, c'est son rôle de mouchard et l'usage de moyens subversifs que l'on peut lui reprocher. Cette péripétie d'un Pourbaix compromis vis-à-vis de l'Histoire, nous aurions pu ne pas la mentionner. Certains cependant nous posèrent la question de savoir ce qu'il en était. Une mise au point méticuleuse devait exister plutôt que de continuer à faire le silence. A chacun de juger. De toute manière, le nom de Pourbaix a été sali dans cette affaire. Il fallait savoir pourquoi. Si les mots pourbaiser, pourbarisme, pourbaisien existent, c'est en fonction de ce scandale, les journalistes n'étant jamais à cours d'idées. Faut-il s'étonner également que certaines familles bourgeoises se soient éloignées de La Louvière à la fin du siècle? Quelle était la position des innombrables familles Pourbaix qui restèrent dans la région ? Cet événement n'est-il pas à l'origine d'une restriction d'accès à la fonction publique, à l'électorat? Il est difficile de se prononcer sur cette question, qui restera sans doute à jamais subjective. Que sont devenus les héritiers et descendants, nullement responsables d'un charisme si particulier qui bouleversa les données politiques de la Belgique, en son temps?

Il ne faut cependant pas gonfler la gravité des agissements de Léonard Pourbaix de manière démesurée. Après deux années de prison, il était quitte avec la société. Il paya en plus par la faillite de son entreprise et mourra jeune. Les pouvoirs publics et leurs représentants qui ont fait tirer sur les ouvriers, à cette époque, et qui en ont tué, n'ont rien payé du tout. N'est-ce pas un crime plus formidable que celui de Léonard?

Dans le cadre de nos études sur les généalogies Pourbaix qui révèlent la destinée de familles honorables et travailleuses, nous avons voulu en parler, en vue de la réhabilitation du nom.

Telles sont les raisons qui nous ont poussé à présenter ces invraisemblables événements.

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